Régulièrement, le département d’Etat des États-Unis publie un rapport mondial sur les droits de l’homme où il distribue les bonnes et les mauvaises notes aux pays du monde entier. Nul ne peut feindre d’ignorer ces rapports qui émanent de la plus grande puissance mondiale et d’un État de droit. C’est ce que le président, noir, de ce pays a rappelé en demande du calme après un verdict terrible qui a innocenté l’assassin d’un jeune Noir.
Dans cet État de droit, la justice a parlé avec un jury de six femmes, cinq Blanches et une Hispanique. Elle a décidé qu’un homme armé peut tuer un jeune Noir désarmé dont le look lui paraissait suspect. Qu’est-ce qu’une démocratie où un jeune Noir tué par arme est considéré, apriori, coupable ? C’est la question que beaucoup d’Étasuniens se posent en constatant que rien n’est réglé malgré les homériques combats pour les droits civiques. Car, quel que soit le bout par lequel on prend ce drame, le jeune Trayvon Martin a été tué parce qu’il était un Noir qui avait eu « l’outrecuidance » de marcher dans un quartier blanc. On est dans le racisme le plus ancré. Sa présence a été jugée contre-nature et un vigile responsable de la « pureté » des lieux l’a jugé et tué.
Comment une démocratie qui donne des leçons au monde entier peut-elle se permettre cette parodie de justice ? C’est probablement une autre question que se sont posée des milliers d’Étasuniens qui ont manifesté, pacifiquement et souvent spontanément, après l’annonce du verdict. Beaucoup, aux États-Unis même, ont mis en avant les failles d’une démocratie où l’argent est roi, où l’écart entre riches et pauvres est vertigineux et où plus de la moitié des électeurs ne vote pas. Cela ne manque pas de pertinence, mais ce qui porte le plus d’ombre sur la démocratie étasunienne c’est bien cette justice à double vitesse qui considère, implicitement, qu’un Noir n’a aucun droit. Personne de bonne foi ne doute que si le jeune homme assassiné était un Blanc on aurait un tout autre procès et un tout autre verdict.
Que cela puisse avoir lieu alors que le président des États-Unis est un Noir ne fait que souligner l’ancrage profond d’une vision raciste au sein du système judicaire. Certes, l’exécutif américain ne dicte pas sa conduite à la justice, ni ses verdicts. Mais on aurait pu penser que l’élection de Barack Obama était un signe d’une véritable évolution des mentalités, certains avaient même théorisé sur une société étasunienne post-raciale. La justification du meurtre du jeune Noir par un jury de femmes blanches remet les choses à leur place. Ce jury a considéré que le jeune Noir était coupable d’être ce qu’il est, coupable d’avoir un look suspect, coupable de ne pas être à sa place. Il a justifié le meurtre et validé, d’avance, d’autres meurtres.
Même quand on vit dans des pays autoritaires et de justice approximative, cette démocratie donneuse de leçons qui permet une telle situation a quelque chose d’effrayant. Pourquoi parmi ces jurés qui ont validé l’assassinat d’un jeune garçon noir il n’y avait pas l’ombre d’un Noir ? Que des Blanches qui n’ont vu dans un jeune Noir tué qu’un criminel et non le fils d’une maman…. Dans ce pays où la violence est enracinée, le message envoyé par la justice est violent. « Je sais que cette affaire a suscité des passions intenses. Au lendemain du verdict, je sais que ces passions pourraient s’intensifier. Mais nous sommes un État de droit, et un jury a parlé », a déclaré Barack Obama. C’est vrai, un jury a parlé, mais la justice n’a pas été rendue. L’injustice a parlé.