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Assistance sociale de spectacle à effet pervers

Au moment où Joseph Michel Martelly célèbre, non sans faste, ses deux ans d’accession à la présidence d’Haiti, le bilan en termes d’assistance sociale n’est pas très reluisant, observe lagence en ligne AlterPresse.

Son programme « Ede Pèp » n’a pas su réduire les conditions de pauvreté extrême, qui touche les classes appauvries du pays et entraine une série de perversions, dont des réflexes assistancialiste et clientéliste.


Même le document « stratégie nationale d’assistance sociale » présente des ambigüités voire des contradictions.

Nommé tantôt « programme » tantôt « stratégie », Ede Pèp semble avoir été conçu « comme un ensemble d’interventions publiques qui fournissent une assistance sociale à la population vulnérable vivant dans la pauvreté extrême tout au long de leur cycle de vie ».

Ce programme ou cette stratégie ne prévoit-il/elle pas de changement dans les conditions de vie de cette « population vulnérable », puisqu’il/elle compte toujours les assister ?

Le document présentant « Ede pèp » indique que ce sont les programmes basés sur le transfert de Cash qui sont compris dans le « volet structurant assistance sociale ».

Ce sont « ti manman cheri, kore etidyan, pansyon ti granmoun, kore andikape, bon solidarite ».

Il est calqué sur le modèle des programmes de transfert monétaire conditionnel, très répandus dans certains pays d’Amérique Latine.

Fidéliser la clientèle politique, paternalisme

ces programmes sociaux veulent « assurer une clientèle politique au pouvoir », considère plutôt Camille Chalmers, professeur de politiques sociales à la Faculté des sciences humaines (Fasch) de l’Université d’État d’Haïti (Ueh), qui refuse de les considérer comme de l’assistance sociale.

« Ce n’est pas, par hasard, qu’une grande partie de ces programmes vise la clientèle des bidonvilles, généralement capable de tapage dans des conflits politiques urbains. Pourtant, les sections communales, où l’on rencontre davantage de personnes appauvries, de personnes mal nourries, ne sont pas les premières bénéficiaires », explique Chalmers.

De surcroît, l’intitulé des programmes traduit « paternalisme et assistancialisme ».

Ce serait la première fois que le peuple haïtien est aidé par un gouvernemen, disent, par exemple, des banderoles.

« C’est extrêmement grave. Un gouvernement n’est pas mis en place pour faire la charité au peuple. L’État a la responsabilité et l’obligation de répondre aux besoins de la population et de créer un environnement propice à la résolution des problèmes », soutient le professeur Chalmers.

Pour beaucoup, le discours, tenu par le gouvernement autour de « Ede pèp », est empreint d’une vision d’un « État paternaliste, papa bon cœur ».

Aussi, pour un jeune étudiant en service social à la Fasch, « Ede pèp », depuis son lancement, « est-ce une stratégie du pouvoir pour renforcer des rapports de dépendance ».

En décembre 2012, dans une position collective, des organisations universitaires ont estimé combien le programme « Kore etidyan » est une « utilisation populiste du droit des étudiants et des étudiantes à bénéficier d’une allocation légale de l’État, dont ils sont des boursiers ».

Ces organisations, dont l’Asosyasyon Kominikatè ak Kominikatèz Popilè (AKP), ont plutôt réclamé « un cadre légal de compléments de bourses, en lieu et place de cette allocation empreinte de bienfaisance et d’assistantialisme ».

Ambiguïtés, contradictions

« L’objectif d’Ede pèp est de protéger, tout au long de son cycle de vie, à court et à moyen terme, la population vulnérable vivant en pauvreté extrême, afin d’assurer, à long terme, l’investissement dans son capital humain et lui offrir des opportunités pour sortir de la condition de pauvreté extrême », lit-on dans le document de présentation.

Sachant qu’un programme d’assistance sociale est ponctuel, donc « agit dans l’immédiateté », il parait soupçonneux que les concepteurs évoquent une protection « tout au long du cycle de vie » des bénéficiaires.

Faut-il comprendre qu’en réalité ces communautés ne sortiront jamais de leur situation ?

Cela signifie-t-il que, dès le départ, le programme veut s’écarter de ce qu’est en réalité l’assistance sociale ?

Dans le document « stratégie nationale d’assistance sociale », on se retrouve aux prises avec des confusions conceptuelles.

Assistance sociale ou protection sociale ? Programme ou stratégie ? Immédiateté, ponctualité ou permanence assistancielle ?

Dans quelle mesure « ti manman cheri » est un « programme de protection sociale », alors qu’il est basé uniquement sur le transfert conditionnel de cash ? La protection sociale faisant sienne le principe de contribution/rétribution.

Les perversions

Les niveaux de transferts sont extrêmement faibles dans ces programmes sociaux du gouvernement.

A travers « Ti manman cheri », sont ciblés des ménages vulnérables comprenant une mère, dont 1 enfant, au moins, est scolarisé. Comme subside, la mère peut recevoir 400.00, 600.00 et 800.00 gourdes (US$ 1.00 = 44.00 gourdes ; 1 euro = 60.00 gourdes aujourd’hui), respectivement, si elle a 1, 2 et 3 enfants.

Chalmers se demande si, en quelque sorte, ce n’est pas « encourager des femmes appauvries à avoir davantage d’enfants, puisque celles qui n’ont qu’un enfant ne reçoivent que 400.00 gourdes, une somme qui ne peut pas nourrir leur ménage ».

Pour Ede pèp, le ménage est « l’espace d’intervention » fondamental.

« Pansyon ti granmoun », « Kore andikape », qui permettent à un ménage d’obtenir 400.00 gourdes de subvention par mois, peuvent-ils être considérés comme une révolution dans le pays, comme veut le faire croire le premier ministre Laurent Lamothe ?

Pour Camille Chalmers, ces programmes pervertissent la logique correcte de l’assistance sociale et favorisent des pratiques clientélistes.

Le professeur se réfère à ce qu’il appelle « la gestion fantaisiste de ces programmes ».

En deux ans de Martelly au pouvoir, malgré tout le discours de changement et de progrès du gouvernement, 70% environ de la population continue à végéter dans la misère, 140 communes sont en situation d’insécurité alimentaire et la gourde connait (en 2013) une dépréciation de 8% par rapport au dollar américain (niveau jamais atteint depuis 2005).

Alors, que doit demander la population-spectatrice aux acteurs, actrices et promoteurs du spectacle ?