27 ans après son entrée en vigueur le 29 mars 1987, la Constitution demeure un réservoir d’acquis mais peine encore à répondre a tous les désidératas démocratiques.
« Constitution de rupture », « constitution de l’élan démocratique » sont parmi les différentes façons de considérer la loi-mère adoptée par référendum au lendemain du départ du dictateur Jean-Claude Duvalier, dernier de la dynastie des Duvalier à s’arroger le titre de président à vie.
Malheureusement, ce document est en désaccord avec la structure autoritaire de l’Etat desservant la politique et l’économique. Ce qui favorise son utilisation par les oligarques au détriment des « intérêts nationaux populaires » et par « l’impérialisme international pour continuer le pillage des ressources du pays et assurer sa domination sur Haïti », selon Camille Charlmers, dirigeant du parti politique de gauche, Kan Pèp.
Serge Gilles, membre du parti fusion des sociaux-démocrates haïtiens, croit que malgré l’avènement démocratique, la « mentalité présidentialiste » reste ancrée dans la population. En ce sens, l’ancien sénateur pointe deux erreurs post-Duvalier.
« On n’a pas pris le temps de faire le procès de l’ancien régime et on a négligé l’éducation civique du peuple après la fin de la dictature », argumente-t-il.
Avancées et limites
En situant la constitution dans son contexte d’adoption, Charlmers soutient que la constitution de 1987 est « une avancée significative en ce sens qu’elle consacre la rupture avec le Duvaliérisme et la mise en place d’un système démocratique ».
Dans la même lignée, Antonal Mortimé, secrétaire général de la Plateforme des organisations haïtiennes des droits humains (Pohdh), souligne que « la constitution de 1987 fait référence explicitement et systématiquement aux droits humains ».
Mortimé reconnaît tout de même qu’en 27 ans d’application, le bilan est mitigé. Des limites sont à combler, continue-t-il.
« Je ne vais pas cracher sur la constitution. Si elle n’y était pas, il y a une kyrielle d’acquis démocratiques qu’on aurait perdus dans ce pays » avance Serge Gilles. Il dénonce également les violations répétées de la loi-mère par des autorités « déjà munies de leur agenda de contournement de la constitution ».
Le fait que la constitution n’admet pas de référendum constitue, selon Chalmers, un élément d’obstacle à la possibilité d’une participation pleine du peuple dans les décisions publiques.
Gilles nuance pour dire qu’il faut consulter le peuple si c’est possible mais de manière particulière. Il priorise un « pacte de gouvernabilité ».
« En 27 ans de constitution 1987, on peut quand même dire qu’il y a des avancées considérables dans les droits civils et politiques. Les libertés publiques sont acquises. Il existe une grande quantité de médias et de canaux de communication, de plus en plus d’émissions de libre tribune dans les médias » souligne Mortimé.
A côté de tout cela, le militant des droits humains évoque la mise en place d’institutions autonomes et indépendantes, notamment l’Office de protection des citoyens.
Le secrétaire général de la Pohdh pointe l’absence d’instances de collectivités territoriales comme des limites dans l’application des prescrits constitutionnels. Il assimile ce fait à une volonté d’empêcher la participation démocratique du peuple.
« Le fait que jusqu’ici la haute cour de justice n’arrive pas à être érigée pour le jugement de hauts fonctionnaires baignant dans la corruption et le détournement de fonds publics » est une limite, poursuit Mortimé.
Perspectives : amendement, nouveau processus politique ?
Qualifiant ce qu’on évoque comme amendement de la constitution de 1987 comme « une tricherie », Serge Gilles croit que la loi-mère a « besoin d’être dépoussiérée ».
« Mais de grâce, faites le comme la constitution trace elle-même son processus d’amendement », exhorte Gilles qui rappelle que « si la constitution était appliquée le pays n’aurait pas besoin d’un quelconque accord politique ».
Mortimé n’est pas contre l’amendement non plus. Et déjà, le militant de la Pohdh évoque le référendum comme option privilégiée lors d’un éventuel amendement.
« Il faut instituer le référendum populaire afin de consulter le peuple sur les décisions engageant son futur. Le peuple doit pouvoir dire s’il veut continuer à être dirigé ou non par un gouvernement », soutient Antonal Mortimé.
Le secrétaire général de la Pohdh estime aussi qu’on doit retirer l’administration pénitentiaire sous le contrôle de la Police nationale d’Haïti ainsi que les Presses nationales sous la tutelle du chef de l’Etat.
Charlmers croit qu’il faut la mise en branle d’un « mouvement patriotique démocratique populaire » avec un projet clair d’établir un Etat national souverain démocratique populaire.
Source: AlterPresse