Le Partenariat transpacifique (PTP) entre les États-Unis, le Mexique, le Canada, le Pérou, le Chili, le Singapour, le Brunei, l’Australie, la Nouvelle-ZélanDe, le Vietnam et la Malaisie, est négocié en secret depuis plus de trois ans et entreprendra une XVIe série de négociations à Singapour en mars 2013. L’entente aura l’effet d’approfondir un modèle largement contesté de déréglementation de secteurs sensibles de nos sociétés à la faveur des intérêts des grandes entreprises qui bénéficient des Accords de libre-échange (ALÉ). Le cadre des négociations du PTP est ouvertement anti-démocratique, non seulement parce qu’il dépasse l’agenda commercial multilatéral mais aussi parce qu’il n’inclut qu’un groupe de pays triés sur le volet et que le processus est mené en marges des parlements nationaux. Cherchant à réformer de façon pluri-latérale les règles du commerce mondial, les négociations s’inscrivent en porte-à-faux du multi-latéralisme et entraînent une grave érosion des règles démocratiques.
Nous, sous-signées, organisations de la société civile, exprimons une sérieuse inquiétude quant à l’avancement de ces négociations, et rejetons publiquement cet accord de libre-échange pour les raisons suivantes
1. Le PTP augmentera drastiquement le prix des médicaments et en réduira l’accès: la proposition des États-Unis en matière de propriété intellectuelle vise à élargir l’implantation et la portée du monopole des transnationales pharmaceutiques, affectant sévèrement l’accès aux médicaments et aux traitements essentiels et thérapeutiques, limitant par conséquent le droit des personnes à la santé. La négociation du PTP propose d’élargir les droits particulièrement néfastes déjà accordés aux entreprises dans le cadre des ALÉ en intervenant sur la concurrence de prix des médicaments et en affaiblissant la capacité des États d’adopter des mesures de sauvegarde au nom de la santé publique face aux intérêts commerciaux.
2. Le PTP menace le libre accès à l’information, l’utilisation d’internet et les biens culturels: les États-Unis ont mis sur la table de négociations une proposition en matière de propriété intellectuelle qui cherche à imposer des normes sur les droits d’auteur similaires à la loi SOPA (selon l’acronyme anglais Stop Online Piracy Act), contestée dans ce pays au point tel qu’elle a été récemment rejetée du fait qu’elle aurait imposé de graves restrictions au droit à l’information, au libre accès à internet et à d’autres biens culturels (livres, programmes informatiques, musique, etc.)
3. Le PTP inclura un inacceptable modèle de protection des investissements: le PTP fait la promotion d’un modèle de protection de l’investissement étranger qui accorde aux investisseurs des droits supérieurs aux acteurs économiques nationaux. Par exemple, par l’entremise des dispositions de Traitement national et de Nation la plus favorisée, il devient interdit pour les gouvernements de mettre en oeuvre des mesures de prescription de résultats ou de contrôler les mouvements de capitaux. Afin de protéger les droits des investisseurs étrangers, le PTP s’appuiera sur l’infâme mécanisme investisseur-État, qui permet aux entreprises privées (individus ou corporations) de poursuivre un État national devant des tribunaux internationaux obscurs et exclusifs, et de contourner ainsi le droit juridique interne. Ce mécanisme de réglement des différends restreint de façon critique la capacité régulatrice des États afin d’assurer la satisfaction des besoins sociaux et environnementaux, alors qu’il est démontré que le marché et les capitaux sont fondamentalement incapables de les satisfaire.
4. Le PTP approfondira la déréglementation du secteur des services financiers: cet accord cherche à déréglementer le secteur des services, dont le secteur financier, ce qui limitera la capacité des États d’adopter des mesures, aujourd’hui grandement nécessaires, pour faire face aux impacts de l’importante crise financière mondiale.
5. Le PTP favorisera la privatisation des services publics: l’accord propose que les services publics soient soumis aux règles générales du commerce, et par conséquent qu’ils puissent être remis en question à la faveur des services privés. Bien qu’on y reconnaisse le rôle de l’État pour garantir l’accès à des services fondamentaux en santé et en éducation, l’accord cherche à inclure des mécanismes qui limitent sa marge de manoeuvre, par exemple dans les cas où un gouvernement entreprendrait de ramener dans le secteur public un service privatisé, même lorsque cela viserait à assurer l’accès des citoyenNEs à des services essentiels.
6. Le PTP affaiblira l’institutionnalité environnementale et facilitera l’appropriation privée des ressources naturelles: dans le présent contexte international de compétition effrénée pour l’accès aux ressources naturelles, l’accord fait prévaloir les intérêts de ceux qui en promeuvent l’exploitation et l’exportation, minant par conséquent le développement de mesures institutionnelles de protection environnementale. Le PTP inclut des mécanismes qui permettraient aux transnationales de contester toute réglementation environnementale ou décision juridique qu’elles considèreraient comme une « expropriation règlementaire » et qui affecterait leurs profits anticipés.
7. Le PTP menace la production nationale d’aliments et la sécurité alimentaire: la négociation de cet accord en matière de produits agricoles subventionnés et la promotion de monocultures pour l’exportation qui mènent à la concentration de la propriété de la terre, constituent une menace pour la production traditionnelle d’aliments assurée par les petits et moyens producteurs agricoles, et affectent la production et la culture des communautés locales et paysannes.
8. Le PTP met en danger les droits et la souveraineté des peuples autochtones: les mécanismes de promotion du commerce et des investissements donnent priorité aux droits des corporations aux dépens de ceux des citoyenNEs, menaçant la garantie du droit des communautés autochtones à être consultées et à leur droit à un consentement libre, premier et informé, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des Peuples autochtones.
9. Le PTP affecte les processus d’intégration régionale: ce modèle de négociation mine le développement des processus alternatifs régionaux d’intégration basés sur des principes de souveraineté qui se construisent actuellement en Amérique latine (notamment l’UNASUR et la CELAC) ainsi qu’entre les pays qui font partie de l’Association des Nations du Sud-Est de l’Asie (ASEAN).
Ces enjeux hautement sensibles sont présentement négociés en catimini dans le cadre du PTP, derrière le dos des citoyennes et citoyens. Par conséquent, nous, les organisations signataires, demandons:
· L’immédiate suspension des négociations du PTP jusqu’à ce que les termes des négociations soient rendus publics et qu’un processus de dialogue soit mis sur pied, avec des mécanismes d’information efficaces et transparents, qui favorise une participation de la société dans son ensemble, en particulier des secteurs qui seront potentiellement affectés par le PSP et pas uniquement des exportateurs et des investisseurs.
· Que le cadre des échanges commerciaux prenne acte des limites et des impacts négatifs qu’ont eu les ALÉ à ce jour. Nous lançons un appel aux gouvernements à ne pas accepter de nouvelles obligations qui puissent affecter nos droits en tant que citoyennes et citoyens.
· Que promotion soit faite d’un modèle commercial qui soit basé sur la justice et qui garantisse un agenda de commerce et de protection des droits, assujetti aux standards des Pactes internationaux sur les droits humains, en particulier relatifs aux normes du travail décent et aux droits des travailleuses et des travailleurs, ainsi qu’à ceux des Peuples autochtones reconnus par l’OIT. Que le modèle de commerce permette les échanges de produits, entre autres manufacturés, qui respectent les conditions de travail décent sans affecter négativement l’environnement, tout en tenant compte des assymétries entre les différentes économies qui sont liées par des accords commerciaux.
Dans les Amériques, février 2013