La décision prise par le Président Rafael Correa de créer, le 9 Juillet 2007, une Commission ayant le mandat de réaliser un audit de la dette de son pays constitue un acte de portée historique. La Commission d’audit intégral du Crédit Public (CAIC) a travaillé pendant plus d’une année et a minutieusement étudié le processus d’endettement du pays de 1976 à 2006. Composée de représentants de l’État, de la société civile équatorienne et de représentants des principaux mouvements anti-dette comme Jubilé Sud, la commission a travaillé sur la dette commerciale, la dette multilatérale, la dette interne. La CAIC a remis officiellement son rapport le 20 novemebre 2008. Il démontre de façon rigoureuse sur la base d’une solide argumentatiion financière, juridique, économique et financière le caractère illégal et illégitime de la plupart des contrats établissant les créances de la nation au cours de la période observée. Pour la première fois les auditeurs ont pu avoir accès, sans restrictions, à une documentation officielle complète. Le résultat est très convaincant et d’autres pays sont en train de s’engager dans ce même processus dans le continent (Venezuela – Bolivie – Paraguay). Nous vous invitons à prendre connaissance de cette note rédigée par la coordonnatrice de Jubilée Sud, Beverly Keene, qui a participé aux travaux de la CAIC et à la cérémonie de remise officielle du rapport.
L’Équateur avance dans la lutte contre la dette illégitime
Beverly Keene, Jubilé Sud
« Nous chercherons à punir les coupables et à ne pas payer la dette illégitime », a affirmé le Président Rafael Correa, au moment de recevoir, le 20 novembre, le Rapport de la Commission Équatorienne d’Audit de la Dette, devant un auditoire de Quito rempli de ministres, parlementaires, autorités locales, membres du corps diplomatique, invités internationaux et représentants de divers mouvements et organisations de la vie sociale, politique, culturelle et religieuse du pays.
Non moins convaincant, le public présent a rugi plusieurs fois au cri de « Nous ne devons rien, la dette est payée ! », et « Prison pour les traîtres », alors que le président annonçait les premières mesures de suivi. Entre autres, il a annoncé l’instruction pour que soient présentées devant les tribunaux équatoriens les demandes en justice pertinentes et pour que commence, à la Chambre Internationale de Commerce de Paris, le processus d’arbitrage contre la Banque Nationale de Développement du Brésil (BNDES), suite aux crédits octroyés à l’entreprise brésilienne Odebrecht pour la construction d’un barrage hydroélectrique dont le fonctionnement a dû être suspendu en juin, après moins d’un an d’opérations, à cause de graves erreurs structurelles.
L’expectative créée autour du suivi de ce premier audit intégral officiel de dette publique croît de plus en plus, depuis que le gouvernement a annoncé sa décision de ne pas payer 30 millions de dollars d’intérêt sur les bons « Global 2012 », qui arrivaient à échéance le 15 novembre. En effet, le gouvernement attend le rapport des enquêtes commencées en juillet 2007 afin de déterminer la légitimité et la légalité des réclamations de dette externe et interne accumulées entre 1976 et 2006. Au moment de suspendre le remboursement, le gouvernement équatorien a clarifié qu’il n’était pas en train de rentrer dans un moratoire, mais qu’il utilisait la période de grâce de 30 jours prévue dans les accords d’émission de ces bons.
La présentation publique du Rapport de la Commission d’Audit Intégral (CAIC), caractérisée par ses propres représentants comme un « résumé du résumé du résumé des documents étudiés et des conclusions développées », s’est centrée justement sur les différentes tranches de la dette commerciale, comme les bons « Globales », qui, en 2007, constituaient 30 % de la dette publique équatorienne et 44% du paiement des intérêts.
« L’analyse est probante – a signalé le Président Correa. L’émission des bons « Global 2003 » et « Global 2012 » présente de graves présomptions d’illégalité, dans l’offre d’échange, et dans le recrutement des agents financiers. Des contrats ont été signés sans l’autorisation présidentielle, et l’offre a été signée en altérant les dates du document ». Les graphiques de la présentation ont montré avec clarté comment chaque échange et renégociation, « cyniquement appelés programmes de désendettement », ont eu pour conséquence l’augmentation du volume total de la dette réclamée. Enfin, le président lui-même a assuré que des copies du Rapport d’Audit se trouvent déjà entre les mains du Procureur Général et du Procureur de la République, afin de pouvoir avancer dans la judiciarisation et les sanctions correspondantes à ces présomptions d’illégalité et à de nombreuses autres. « Le coût doit être transféré en parties égales à tous les responsables de son acquisition (de la dette illégitime) – a assuré le mandataire – tant ce qui ont prêté que ceux qui l’ont contractée ».
De plus, le président a mis l’accent sur les conséquences du cycle d’endettement illégitime pour le pays, et la nécessité de mettre fin au saccage que cela a signifié. « Entre 1976 et 2006 – a-t-il signalé -, le processus d’endettement de l’Équateur a bénéficié au secteur financier et aux entreprises multinationales, et a affecté de manière visible les intérêts de la Nation. Les conditions imposées et les remboursements encourus ont porté atteinte aux droits fondamentaux des personnes et des peuples, approfondissant la pauvreté, augmentant les migrations et détériorant les conditions environnementales… ».
Le rapport de la Commission, fondé sur des milliers de pages de documents de documentation découverte et révisée au long des enquêtes de la CAIC, aborde non seulement les réclamations de dette commerciale, mais aussi celles des dettes multilatérale, bilatérale et interne. Pour des questions de temps, les principales conclusions de ces autres types de dette n’ont pas été présentées à cette occasion, mais le Président Correa, lui, a profité du moment pour souligner qu’elles étaient frappantes et négatives, tout comme les conclusions qui avaient été exposées. Selon ce qu’il a annoncé, contrariant leurs propres statuts constitutifs, « les organismes multilatéraux de crédit ont créé des systèmes d’endettement pernicieux, en s’alliant avec des créanciers privés puissants et des entreprises multinationales, pour soutenir les dettes illégitimes, comme celles négociées dans le Plan Brady ». Il a insisté sur le fait que l’action des institutions financières internationales (IFI), comme le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale, avait fragilisé la souveraineté des pays endettés et avait anéanti leur capacité de planification pour le développement.
Hasta la victoria siempre (Jusqu’à la victoire toujours)
Le chemin qui reste à parcourir ne sera pas facile pour le pays. Les prêteurs habituels ont réagi fortement, alors que les agences de notation alliées ont déplacé tous leurs pions. Le gouvernement du Brésil, qui depuis juin a adopté une politique de défense ferme de l’entreprise brésilienne Odebrecht, a fait appel à son ambassadeur à Quito. La droite équatorienne, ainsi que les ex-présidents, ministres des finances, dirigeants de la Banque Centrale et des intérêts économico-financiers les plus concentrés du pays, pour beaucoup signalés avec nom et prénom dans le Rapport, ont cherché à disqualifier les conclusions de la CAIC en mettant en question leur justesse, et en lançant des critiques xénophobes contre la participation de personnes non-équatoriennes dans les accusations réalisées. La CAIC comprend des représentants gouvernementaux, d’organisations et de mouvements sociaux équatoriens et des principaux réseaux régionaux et mondiaux de lutte contre la dette, entre lesquels Jubilé Sud et le Programme sur la Dette Illégitime de la Fédération Luthérienne Mondiale.
Particulièrement dans le contexte actuel mondial de pleine crise économique, quand les actes arbitraires et les erreurs du système financier mondial et de ses principaux agents sont visibles pour tout le monde, l’audit ouvre une scène nouvelle et propice pour avancer dans la construction de réponses intégrales et articulées entre les gouvernements de la région. Le gouvernement équatorien cherchera à mobiliser le soutien de ses pairs en défense de sa conduite historique et souveraine, ainsi que le soutien de l’Alliance Social Continentale, alors que les mouvements contre la dette et les IFI ont déjà annoncé leur appui en ce sens.
Le Groupe National de la Dette, qui en Équateur articule un ensemble important d’organisations et de réseaux sociaux, peuples indigènes, syndicats et groupes religieux, et dont la lutte a été instrumentale dans la conformation et le développement de l’Audit, s’est prononcé immédiatement en signalant qu’il partageait avec le Président Correa la thèse de donner la priorité au remboursement de la dette sociale avant le paiement de n’importe quelle dette financière. Il a aussi indiqué les stratégies qu’il continuera à impulser afin de continuer à avancer sur la base de l’Audit. Entre elles, il a souligné l’importance de la lutte contre l’impunité : la nécessité de réclamer les sanctions et réparations face à l’ensemble des délits, irrégularités et préjudices que l’audit démontre et documente. Ainsi, l’urgence est de mettre fin au modèle d’endettement déprédateur, en reconnaissant qu’en réalité, l’Équateur est un pays créditeur qui doit réclamer ce qui lui revient. Le Groupe National de la Dette (GND) a aussi montré son accord avec le Président Correa en signalant qu’il n’y aura pas de solution intégrale au problème de la dette tant que ne se transforme pas l’architecture financière internationale. « L’Audit montre que le modèle néolibéral d’endettement a ravagé notre souveraineté, détruisant aussi le caractère institutionnel et le sens du public, a affirmé GND dans son annonce. Sont stratégiques, en ce sens, les politiques nationales et régionales déjà en marche pour récupérer la souveraineté, l’amplifier, et fonder sur elle une autre architecture financière, au service du bien-être… »
Non seulement il faudra de nouveaux mécanismes internationaux pour traiter le problème de la dette illégitime – comme le réclame le président équatorien – mais aussi un nouveau fonctionnement régional et mondial pour lequel il a fait un appel à tous les gouvernements des pays endettés du Sud, et surtout aux plus petits, à unir leurs efforts et à ne pas se laisser prendre au piège par les réponses qu’offre le système actuel. « Avec les 700 000 millions de dollars qu’a offert le gouvernement des Etats-Unis pour sauver les banques responsables de la crise actuelle, pourraient être couverts au moins 50% des investissement nécessaires d’ici à 2014, pour réussir à atteindre les Objectifs du Millénaire », a signalé le Président Correa. La réalisation d’audits des dettes dans d’autres pays, comme l’on commence à entrevoir au Paraguay et en Bolivie, en plus des efforts de l’audit citoyen dans différents pays de la région comme le Brésil, Haïti et l’Argentine, devrait faire partie de cet agenda du changement, tout comme la mise en marche d’une Banque Solidaires du Sud, et d’autres initiatives stratégiques, que des mouvements de tout le continent ont exigé à leurs gouvernants dans une Lettre ouverte, envoyée le 17 octobre dernier.
Depuis l’Équateur, les mouvements sociaux, peuples indigènes, réseaux et organisations sont en train de convoquer une grande mobilisation pour le 10 décembre, Journée Internationale des Droits de l’Homme, pour soutenir le non-paiement des bons « Global 2012 » au vu des graves présomptions d’illégalité. Depuis Jubilé Sud, nous invitons à rejoindre toutes les organisations de la région et au-delà, en soutenant et réclamant une action décidée par le gouvernement équatorien, en défense des droits non seulement de sa population, mais aussi de tous les peuples et de la nature, affectés par la domination exercée au travers de la dette illégitime déjà payée. La conjoncture mondiale de profonde crise alimentaire, climatique, énergétique, économique et financière, crée le moment propice pour la recherche de solutions qui aillent au fond des problèmes. Comme l’a conclu le Président Correa pendant l’acte de présentation de l’Audit équatorien, il est l’heure d’assumer les défis d’un véritable développement : « Assez de tant de pillage. Assez de tant de vol. Assez de tant d’iniquité. Nous démontrerons que nous sommes un pays souverain. Hasta la victoria siempre! ».
Beverly Keene
Coordinadora Internacional/
International Coordinator
JUBILEE SOUTH – JUBILEO SUR – JUBILÉ SUD
Global Secretariat
Piedras 730
(1070) Buenos Aires, Argentina
Tel. +5411-43071867