Après quatre reports consécutifs, les élections ont eu bel et bien lieu le 7 février dernier. La première grande surprise est le taux élevé de la participation des votants. Car, tout semblait se liguer contre une telle mobilisation populaire si l’on se réfère aux multiples manoeuvres d’un certain secteur social, de connivence avec ladite Communauté Internationale pour décourager les masses paysannes et urbaines de s’inscrire.
La première grande surprise
Après quatre reports consécutifs, les élections ont eu bel et bien lieu le 7 février dernier. La première grande surprise est le taux élevé de la participation des votants. Car, tout semblait se liguer contre une telle mobilisation populaire si l’on se réfère aux multiples manoeuvres d’un certain secteur social, de connivence avec ladite Communauté Internationale pour décourager les masses paysannes et urbaines de s’inscrire. L’on se rappelle l’ajournement à plusieurs reprises de l’ouverture des bureaux d’inscription, le nombre insuffisant de bureaux de vote, leur placement éloigné par rapport à un grand nombre de localités très populeuses- cela avait exigé dans certains endroits plus de 5 heures de marche pour y arriver- et finalement, et ce n’est pas le moindre- les manquements techniques entourant le vote, le jour même des élections. Une foule énorme de votants munis de leur carte d’inscription cherchait en vain leur nom sur la liste électorale. Le président du Conseil a accusé en ce jour des joutes la Communauté Internationale d’avoir boycotté le système de communication qu’entendait mettre en place cette institution qu’il dirige.
Tout d’abord, il est important de souligner que le processus électoral s’est déroulé sous l’emprise serrée des forces occupantes. Le Conseil électoral Provisoire, le CEP, disposait d’une marge de manoeuvre très étroite. Il lui était interdit de ne rien faire sans la sollicitude ou du moins l’accord du PNUD qui lui réclamait un pro forma en tout pour délier la bourse, ou de l’OEA pour ce qui concernait les aspects techniques. Même la carte électorale a été imprimée au Mexique, une carte qui n’est pas mieux présentée que la carte d’identité fiscale délivrée par la Direction Générale des Impôts ou le permis de conduire préparé par le Service de Circulation.
Les experts internationaux croyaient faire d’une expression politique comme les élections un ensemble de tâches techniques. C’est pourquoi, malgré leur méconnaissance du pays, ils se sentaient capables de tout ordonner parfois même en ignorant les suggestions du Conseil électoral ou celles d’autres secteurs du pays. Le Conseil Électoral n’avait pas obtenu pour ces raisons la confiance de la majorité de la population. Ce manque de confiance a été alimenté en plus par la division interne qui rongeait cette institution, et les critiques acerbes des partis politiques de préférence soumis à la bonne foi des commanditaires étrangers qui, d’après eux, sont là pour voler au secours d’un pays en ruine. Ils paraient ainsi aux déboires prévisibles qui les attendaient du fait de leur impréparation évidente pour rallier l’électorat à leur cause. La candidature tardive mais pas vraiment surprenante de René Préval a bouleversé toutes les donnes. La victoire dont certains candidats comme Henri Baker, Lesly Manigat ou Evans Paul croyaient à leur portée de main a changé de camp. La popularité de Préval a chamboulé le panorama politique et le dessein de la classe politique traditionnelle.
Comme en 1990 quand l’irruption de Jean Bertrand Aristide sur la scène électorale avait augmenté de façon exponentielle le nombre des inscrits, nous avons assisté cette année encore au même phénomène au profit de son ancien compagnon de lutte. La grande différence vient du fait de l’absence de l’influence de l’église qui n’a pas même secouru les candidats protestants malgré l’ascension du nombre de leurs adeptes à travers le pays. En dépit de certaines acrobaties avouées et non avouées pour écarter les bureaux de vote et d’inscription des quartiers populaires où sévissait malgré la présence de près de 7500 militaires et près de 2000 policiers de la MINUSTAH, une violence inouïe, les gens s’étaient déplacés en masse et en discipline pour voter même loin de chez eux. Si la journée de vote est terminée sans incident majeur, c’est grâce à cette discipline et non à une quelconque stratégie des forces de l’ordre qui brillaient ce jour-là par leur absence.
Les masses populaires ont découvert et déjoué le jeu sordide.
Les masses populaires de la capitale, vite appuyées par celles de plusieurs autres grandes villes de province, ont arraché la victoire aux mains de celles et de ceux qui la trafiquaient pour la remettre à sa détentrice légitime. Elles ont découvert et déjoué le jeu sordide de leurs ennemis de classe quand elles se rendent compte que le pourcentage des bulletins de vote de leur candidat souffre soudain d’un vertige soupçonneux. Tout prouve que, malgré toutes les combines anti-populaires, Préval devait gagner haut la main les élections dès le premier tour.
On a brûlé des bulletins de vote de plusieurs quartiers populaires de la conglomération de Port-au-Prince qui étaient sous la responsabilité directe de la MINUSTAH dans la nuit du 14 février pendant que le peuple remplissait les rues pour déclarer à qui veut l’entendre qu’il n’est pas question d’un deuxième tour. Des procès-verbaux qui, à moins d’un kilomètre du centre de Tabulation, par coïncidence parvenaient ce jour-la à ce centre, plus de 8 jours après la tenue des élections. C’était le résultat des votes de certains quartiers populaires dont la grande majorité avaient jeté leur dévolu sur l’agronome de Marmelade. La proclamation de ce dernier comme le nouveau chef d’État haïtien a davantage protégé la Communauté internationale, compte tenu de toutes ses erreurs grossières conscientes et inconscientes, que de sauver, comment on vaudrait le faire comprendre, la victoire indiscutable de Préval.
D’où est sortie cette marée populaire qui a opté pour René Préval.
Ce qu’il a à son actif. Ce soutien à l’ancien président ne relève pas du hasard malgré le caractère un peu taciturne de sa campagne électorale. Il a à son actif ses maigres réalisations, pourtant, supérieures à celles de beaucoup d’autres gouvernements antérieurs, au niveau de l’infrastructure routière et scolaire à travers le pays, sa réforme agraire malgré toutes ses limites, et son comportement non- hautain du pouvoir. Tout cela couronné par sa franchise et son honnêteté vis-à-vis des deniers publics. Sa mi-distance avec Aristide a contribué aussi à lui apporter le support de certaines fractions anti-aristidiennes des classes moyennes sans négliger paradoxalement non plus le poids d’Aristide dans la balance. La plupart des partisans de ce dernier, même ceux et celles qui ne rêvent plus à son retour, espèrent retrouver chez le nouvel élu la “ sensibilité” et “l’amour des pauvres” de l’ancien prêtre salésien. D’aucuns supposent que Préval est le seul de tous les candidats en lice capable de mettre fin au cycle de la violence qui endeuille toutes les classes sociales.
L’échec du gouvernement technocrate
L’échec du gouvernement de transition a poussé aussi le peuple du côté de Préval. La nation n’a pas vraiment avancé sous la baguette de ce que l’on se plaît à appeler le gouvernement des technocrates, comme si la politique était soumise totalement à la technocratie. Ce gouvernement avait concédé 2 ans de franchise à la grande bourgeoisie pour compenser sa perte lors des turbulences anti-Arisitide de 2004. Pourtant, la cherté de la vie n’avait jamais atteint ce pic. Les milieux populaires qui ont lié ces deux éléments (l’échec du gouvernement et l’égoïsme de la bourgeoisie), n’ont pas caché leur déception. Le choix ne se veut pas seulement une simple attitude sentimentale, il a clairement un caractère de classe. Il est très difficile pourtant d’affirmer qu’on s’achemine vers un pouvoir alternatif, consciemment choisi par un prolétariat ou par des classes populaires organisées sans nier quand même un certain véhicule favorisant la circulation et le respect des mots d’ordre donnés. C’est le rejet par un nombre impressionnant des défavorisés des quartiers populaires de la classe politique traditionnelle qui a propulsé à nouveau Préval au-devant de la scène politique haïtienne. L’absence remarquable d’un mouvement populaire fort et cohérent lui a aussi pavé la voie.
Préval et les perspectives populaires
Cette population n’a pas dépensé toute son énergie pour le simple retour de Préval à la première magistrature de l’État. Si son vote signifie le rejet de la classe politique traditionnelle et ses alliés de toujours formés des grands propriétaires fonciers, des tenants des banques et des grandes maisons commerciales et industrielles, elle attend de lui un mieux être réel, non démagogique, à court terme. Le cinquante -cinquième président de la République d’Haïti ne pourra plus continuer à chevaucher simultanément le camp populaire et celui de la bourgeoisie. Il lui faut, même s’il ne se sent pas prêt ou s’il refuse idéologiquement à mener une lutte frontale contre les classes dominantes haïtiennes conservatrices et récalcitrantes de par leur nature, prendre des mesures drastiques pour exiger de ces dernières de se conformer aux règlements fiscaux, et pour payer les impôts, une telle décision qu’elles n’ont jamais voulu accepter.
Nous décelons ici une première source de confrontation entre cette classe rétrograde et le nouveau gouvernement, vu cette franchise douanière mentionnée plus haut. S’il entend imprimer une nouvelle facette à son nouveau mandat, différente du premier, ses premiers ennemis se recruteront aussi dans l’administration publique parmi la plupart de ses membres rompus à la corruption. Pourtant, ces recettes devraient constituer sa première source de financements pour répondre à certains besoins urgents et populaires et pour empêcher que cette même popularité ne soit retournée contre lui en faveur de l’exilé d’Afrique du Sud et de ses plus fidèles alliés toujours à l’affût bien que le président Préval ne puisse assumer ou du moins tout au début de son administration son retour que ne souhaitent pas de larges couches nationales et beaucoup de dirigeants des grandes puissances. La Secrétaire d’État des États-Unis, Condoleeza Rice, s’est opposé publiquement à la présence l’hôte de Nelson Mandela sur sa terre natale.
L’argent ne sera pas coulé à flots au nouveau président.
Le Cadre de Coopération International (le CCI), a déjà hypothéqué plus d’un an et demi de son mandat. La dernière entente conclue entre le binôme Alexandre/ Latortue le lie jusqu’en septembre 2007, malgré que cette Communauté Internationale n’ait répondu que très partiellement à tous ses engagements envers ses poulains de la transition. Pourquoi cette Communauté internationale deviendrait subitement plus conciliante avec Préval qu’avec le gouvernement intérimaire qui est le résultat immédiat de ses démarches? Ce n’est pas d’aujourd’hui que se déploie une tendance au niveau d’un certain courant dirigeant international pour mettre Haïti sous tutelle sous prétexte que ce pays est devenu une entité chaotique et ingouvernable. Cependant les évènements du 7 février de cette année ont déjoué cette fois encore ce plan concocté de longue date dans certaines ambassades étrangères.
Une autre attente populaire qui semblera orientée à très court terme le gouvernement de Préval est son attitude vis-à-vis de l’occupation qui n’a rien apporté de bénéfique au pays. Il avait promis pendant sa campagne électorale de garder la présence de ces troupes sur le territoire national tout en modifiant son mandat s’il arrivait à gagner les élections. Les supporteurs de cette force en font accroire que sans la MINUSTAH, il y aurait déjà au moins un coup d’Etat. De qui? Qui fomente généralement ces coups d’Etat ici et ailleurs? Pourtant, pour tous les courants progressistes nationaux et internationaux, pour la grande majorité des organisations populaires, les forces occupantes n’ont pas leur place dans le pays qui a besoin d’autres aides plus conséquentes que les chars et les fusils étrangers.
En guise de conclusion
Préval a devant lui 5 longues années difficiles. Ses limites idéologiques et matérielles ne l’aideront pas à satisfaire la plupart des revendications populaires. Ses ennemis politiques de divers horizons ne tarderont pas non plus à lui mettre le bâton dans les roues d’autant que tout indique qu’il n’aura pas la majorité des deux Chambres pour soutenir ses initiatives. L’opposition, vu sa peur du peuple, se pencherait davantage vers le boycott latent ou violent pour faire écran à lavalasse pour mieux se positionner aux prochaines élections. Sa seule planche de survie demeure le soutien infaillible politique des masses qui viennent de donner une leçon de lucidité à l’ensemble des classes dominantes et dirigeantes du monde entier qui ne se débarrasseront pas bientôt de tous leurs préjugés et stéréotypes anti-populaires. A la seule condition que Préval maintienne le cap de ses prétentions: changer ou du moins améliorer la vie de la majorité avec la promotion de la production nationale, une prétention malheureusement qui est incompatible avec le choix néo-libéral de son premier quinquennat.
Marc- Arthur Fils- Aimé
Directeur Général
20 février 2006