Le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) a accueilli avec intérêt l’annonce de la visite en Haïti ce 12 décembre 2005, du président dominicain, Leonel Fernandez, dans le but de discuter, entre autres, de l’épineux dossier de la Migration, pierre d’achoppement dans les relations entre les deux pays.
Le GARR croit que seules des décisions réalistes et concertées entre les deux pays peuvent aider à résoudre durablement un certain nombre de problèmes issus de cette migration. De telles décisions doivent, avant tout, viser la paix, l’harmonie entre les deux pays, la justice et le respect mutuel.
La République d’Haïti étant dirigée par un gouvernement transitoire, amputé d’un parlement, les décisions majeures à prendre doivent être envisagées dans un cadre de participation citoyenne élargie, loin des pratiques d’officine où seuls quelques initiés ont droit à une information qui concerne plus de 15 millions de personnes sur l’île.
Dans cette perspective, le GARR pense que les discussions, qui vont avoir lieu au cours de cette visite, devraient chercher à résoudre les problèmes suivants :
– La Protection des immigrants/tes haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine dont les droits à la vie, à l’intégrité physique et morale et à la propriété privée, sont systématiquement violés au cours de ces derniers mois par des groupes qui s’érigent en justiciers, au mépris des institutions et des lois ;
– La régularisation du statut des immigrants haïtiens qui travaillent en République Dominicaine depuis de nombreuses années. Certains ont été amenés là-bas depuis les années 1920 avec l’intensification de la production sucrière, puis à la faveur des contrats d’embauchage passés entre les deux pays à partir des années 1950 ;
– La citoyenneté des milliers de descendants de ces immigrants et immigrantes qui ne peuvent jouir de leurs droits civils, politiques, économiques et sociaux, parce qu’ils ne sont reconnus par aucun des deux Etats ;
– La régularisation du processus de recrutement pour les demandes de main-d’œuvre et les demandes d’emploi ;
– La promotion de voyages réguliers par l’établissement de procédures simples et moins coûteuses ;
– Le respect des conventions internationales, des lois nationales et protocoles passés entre les deux pays, particulièrement dans les cas de rapatriements.
– Un meilleur contrôle de la frontière, spécialement du côté d’Haïti.
Le GARR profite de ce contexte pour présenter un ensemble de propositions, longuement discutées avec des organisations haïtiennes et dominicaines, sur ce qu’il conviendrait de faire, tant en Haïti qu’en République Dominicaine ou conjointement par les deux pays, pour mettre définitivement fin à cette gênante et perpétuelle controverse autour de la question migratoire.
Propositions du GARR
– Considérant que Haïti et la République Dominicaine sont deux pays de la Caraïbe liés par une frontière commune et par un passé historique difficile ;
– Considérant que la prise en compte du dossier de la migration, qui a toujours constitué une pierre d’achoppement dans les relations entre Haïti et la République Dominicaine, est fondamentale pour une harmonisation des rapports entre les deux Etats et les deux peuples;
– Considérant les conditions dans lesquelles évoluent la majorité des Haïtiens et Haïtiennes en République Dominicaine, conditions caractérisées par le non-respect de leurs droits, l’absence de documents d’identité, la difficulté de s’intégrer dans la société dominicaine etc.;
– Considérant que, depuis plus de 75 ans, des travailleurs haïtiens se rendent régulièrement en République Dominicaine, d’abord à la faveur d’accords signés entre les deux pays et plus tard à partir de contrats verbaux ou écrits entre des travailleurs et des entreprises et/ou propriétaires dominicains de grandes plantations agricoles ;
– Considérant la situation de non reconnaissance, dans laquelle vivent des milliers d’enfants issus de ces immigrants et immigrantes, lesquels enfants n’arrivent pas à jouir pleinement du droit à la nationalité, à la citoyenneté et des droits civils et politiques ;
– Considérant que la présence des Haïtiens est souvent présentée comme une menace pour la souveraineté dominicaine. Le passé conflictuel des deux Etats est exploité, de manière constante, pour asseoir cette thèse ;
– Considérant la tendance à la régularisation et à la normalisation sur un certain nombre de questions économiques et commerciales ayant caractérisé les relations entre les deux pays, au cours des dix dernières années;
– Considérant la volonté exprimée à maintes reprises par des représentants des deux Etats d’agir positivement sur ce dossier ;
– Considérant l’impérieuse nécessité, pour Haïti et la République Dominicaine, de vivre constamment dans un rapport de bon voisinage et de respect mutuel;
– Considérant que la question migratoire entre ces deux pays contient des germes de conflits potentiels qu’il convient de résoudre dans la paix et dans la justice;
Le GARR adresse les recommandations suivantes aux dirigeants haïtiens et dominicains :
a) Aux dirigeants dominicains, le GARR demande :
1. de faire respecter les fondamentaux de la justice dans tout état moderne, et éviter que des groupes de citoyens se déchaînent contre des communautés paisibles d’Haïtiens, en s’érigeant en tribunaux à travers les juntas de vecinos pour appliquer, à leur gré, des sanctions, alors qu’il existe un appareil judiciaire dominicain.
2. d’effectuer une opération de régularisation des immigrants Haïtiens sur le sol dominicain, en permettant à ceux et celles, qui ont plus de dix ans dans le pays, d’accéder à un permis de séjour permanent ou temporaire renouvelable.
3. de mettre fin à la situation de « sans nationalité aucune », dans laquelle évoluent des milliers de descendants haïtiens. Pour que ces derniers puissent jouir pleinement de leurs droits civils, politiques, économiques et sociaux et pour éviter que cette situation ne se renouvelle dans les générations futures, nous demandons au gouvernement dominicain de reconnaître la nationalité dominicaine aux descendants des haïtiens nés sur son territoire, conformément à l’article 11 de la Constitution de ce pays et de faciliter l’enregistrement des enfants auprès des autorités compétentes tout de suite après leur naissance;
b) Aux dirigeants haïtiens, le GARR demande :
1. de renforcer la représentation diplomatique d’Haïti en République Dominicaine, afin de pouvoir répondre plus facilement et plus efficacement aux besoins de ses ressortissants dans ce pays, notamment le besoin de trouver des pièces d’identité et une protection légale. Nous pensons à l’établissement de nouveaux consulats haïtiens en République Dominicaine, particulièrement dans les points frontaliers où les représentations consulaires du pays voisin n’ont pas de vis-à-vis, notamment à Elias Piña et à Pedernales.
2. de doter les ressortissants haïtiens de pièces d’identité, tant en Haïti, en République Dominicaine qu’ailleurs, afin d’aider ces derniers dans leurs démarches administratives, notamment lors de la déclaration de naissance de leurs enfants.
3. d’élaborer et de mettre en œuvre une politique économique, de nature à générer de l’emploi stable, notamment en milieu rural, afin de créer les conditions et opportunités d’une vie meilleure pour la population haïtienne, et, par ricochet, de sa stabilité.
4. de mettre en place des structures sociales, économiques et administratives sur toute la zone frontalière afin de créer les conditions pouvant limiter le trafic de personnes vers la République Dominicaine et une meilleure gestion et contrôle de la frontière.
5. de mettre en place des programmes pouvant faciliter la réinsertion des personnes rapatriées.
c) Aux dirigeants haïtiens et dominicains, le GARR demande :
– de prendre les mesures nécessaires pour décourager les pratiques de recrutements clandestins qui ont cours régulièrement à la frontière et qui ne contribuent qu’à aggraver la situation précaire des haïtiens et des personnes d’ascendance haïtienne qui vivent déjà en République Dominicaine. Le GARR exige, des autorités des deux pays, des mesures efficaces pour mettre un frein à l’action des buscones(trafiquants) qui profitent de la misère des gens pour leur soutirer de l’argent en leur promettant monts et merveilles en République Dominicaine. Nous invitons les dirigeants à signer, de préférence, des accords fixant le cadre dans lequel un ressortissant d’un pays peut aller travailler dans l’autre pays;
– de négocier, dans le plus bref délai, un accord global sur la question migratoire, qui prenne en compte les intérêts des immigrants de longue date et ceux des descendants de ces immigrants. En attendant cet accord, nous demandons l’arrêt de toute campagne de rapatriement forcé d’immigrants haïtiens ou de leurs descendants du territoire dominicain.
– d’élaborer des accords bilatéraux facilitant la circulation de leurs ressortissants, d’un pays à un autre. Dans ce sens, il sera opportun de réviser à la baisse les tarifs des voyages (passeports, visa et frais d’immigration) que les voyageurs sont obligés de payer.
– de faciliter le contrôle par des structures compétentes, des conditions de rapatriements (respect des accords, respect des droits des personnes), dans le cas où ils auront lieu.
– d’organiser et de réglementer équitablement les échanges commerciaux entre les deux pays, de manière à ce qu’ils puissent bénéficier au développement des deux pays.
– de ratifier la Convention Internationale sur la Protection des droits des travailleurs migrants et de leur famille.
Pour le GARR,
Colette Lespinasse,
coordonnatrice